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Ca commence aujourd’hui


par Par Laurent Aucher
le 7 juin 2020

« ÇA COMMENCE AUJOURD’HUI »
(Note d’observation)


Un jour de mai 2019, peu de temps avant les élections européennes, je me suis assis à l’intérieur d’un bistrot situé quelque part en Berry pour y consommer un café. Durant une trentaine de minutes, j’ai transcrit minutieusement tout ce que je voyais et tout ce que j’entendais. Ce qui m’a surtout intéressé avec cette observation in situ, c’était d’essayer, à la manière de Georges Perec, de rendre compte dans le détail de ce qu’on pourrait appeler la texture du quotidien, ce que l’auteur de La Vie mode d’emploi nommait aussi les « choses communes ».

L’établissement, situé sur la principale place du centre-bourg, fait bistrot mais également débit de tabac, de jeux et de presse. Je me trouve à proximité de la porte d’entrée. De la gauche à la droite de mon champ de vision : une télévision fixée au mur, un comptoir, un escalier central sous lequel donne un couloir où l’on devine un logement de fonction, un coin tabac. La pièce contient de nombreuses tables et chaises au point qu’elle paraît encombrée.

Deux hommes sont assis au comptoir. À l’autre extrémité de la pièce, au niveau du point tabac-jeux-journaux, se tient une jeune femme qui m’a servi mon café. Une cliente entre, se dirige vers le coin tabac et achète un paquet de cigarettes. Au moment de repartir, s’adressant au plus jeune des deux hommes : « Salut Juju ». L’homme en question est grand, une trentaine d’années, cheveux châtains, et porte une queue de cheval.

L’homme à la queue de cheval s’absente pour aller fumer une cigarette à l’extérieur du café, il est rejoint par la serveuse. L’autre homme reste seul au comptoir à lire un journal.

Un nouveau client arrive, ramenant la jeune serveuse dans son sillage. L’homme commande un café.

Retour de l’homme à la queue de cheval. Ils sont maintenant trois clients à être assis au comptoir.

Les deux hommes les plus âgés sortent pour aller s’asseoir en terrasse.

Un client arrive pour acheter une boîte de tabac à rouler. Il échange quelques mots avec l’homme à la queue de cheval. La discussion porte sur les apprentis. Tout me laisse penser que l’homme à la queue de cheval doit travailler comme ouvrier dans une usine ou peut-être mieux encore dans un garage.

Départ de l’homme à la boîte de tabac.

Discussion entre l’homme à la queue de cheval et la serveuse. J’entends l’homme dire : « Un bon mécano, Richard ». Entendre encore de sa part : « Au boulot, je suis une autre personne qu’en dehors ». Il évoque maintenant un problème de santé. Il fait un geste de la main en désignant ses côtes : « Je me suis excité ce matin au boulot en ramassant un boulon, j’ai cru que j’allais chialer ».

La télévision, qui est allumée, diffuse le journal télévisé de France 2.
La serveuse : –Tu as quel âge ? L’homme à la queue de cheval : –Ça ne se demande pas. –Tu as quel âge ? –36.

Un homme, que je n’avais pas vu jusqu’à maintenant, descend l’escalier central. Une femme arrive au même moment pour acheter une boîte de tabac à rouler. L’homme, qui vient de descendre de l’étage, lui en vend une. La femme règle avec une carte bancaire puis s’en va.

La serveuse met son sac autour de son épaule, ressert un verre à l’homme qui porte une queue de cheval et en le lui servant dit : « On va dehors ? ». À la télévision, un panneau annonce : « Pour qui allons-nous voter ? » L’homme à la queue de cheval, en passant devant la télé : « Pour personne ! » La serveuse et l’homme à la queue de cheval franchissent la porte du commerce et s’installent en terrasse.

L’homme qui était descendu par l’escalier s’engouffre dans le couloir, et disparaît.

Être seul dans le bistrot. À la télévision : le bulletin météo.

L’homme réapparaît, il se fait un café.

L’homme se tient maintenant debout derrière le comptoir, la tête légèrement penchée en avant comme s’il lisait quelque chose. Mon poste d’observation ne me permet pas de l’affirmer, mais je pense qu’il s’agit de son téléphone portable.
Une femme descend à son tour de l’escalier central. Elle est accompagnée d’un jeune garçon habillé en blanc. Échange entre l’homme qui se trouve derrière le comptoir et la femme. La femme regarde maintenant des choses sur le portable de l’homme en buvant un café. Je les entends parler de photos. L’un et l’autre sont au niveau du comptoir, tout comme l’enfant qui, assis sur un tabouret, joue avec un porte-clés.

La serveuse et l’homme à la queue de cheval sont toujours assis en terrasse, ils discutent. Entendre le son de leurs voix mais sans avoir accès à ce qu’ils disent précisément.

Diffusion à la télévision de spots politiques en lien avec la campagne européenne.
Une dame, plus âgée que les autres protagonistes présents dans la salle, descend à son tour de l’escalier avec un plateau-repas.

L’homme et la femme continuent à regarder des choses sur le téléphone. Un bruit sourd sort de l’appareil, il s’agit probablement de vidéos.

La femme au plateau-repas s’engage dans la pièce contiguë à l’escalier qui semble être une cuisine.

Entendre la femme dire à celle qui se trouve dans la pièce : « Elle est prête Mamie ? »
Arrivée de la grand-mère en question. Celle-ci se positionne à hauteur de la machine à café. Bruit de la machine.

Durant quelques instants, les trois adultes et l’enfant sont arrimés au comptoir.

La femme la plus âgée s’éloigne des trois autres, elle se positionne au niveau du dépôt de tabac.

À leur tour la femme, l’homme et l’enfant lèvent le camp et montent l’escalier.

Aussitôt après, la femme et l’enfant redescendent.

L’homme à la queue de cheval et la serveuse rentrent dans le bar, saluent la femme la plus âgée, puis s’en vont.

L’homme, qui était monté à l’étage, redescend lui aussi. Il se dirige vers l’espace tabac-jeux-journaux. Suit un échange entre la plus âgée et l’homme.

La femme la plus âgée est sur le départ. Elle prépare quelques affaires, embrasse l’homme puis s’en va.

Nous ne sommes plus que deux dans le bar.

À la télévision, lancement du générique de l’émission de France 2 « Ça commence aujourd’hui ».

Laurent Aucher





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