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Des récits de papier aux récits 2.0





Paye ta précarité et ton handicap

par Millendall
le 25 septembre 2019

Titre en référence aux mouvements sur les réseaux sociaux « paye ton psy », « paye ton médecin », « paye ton couple », « paye ton treillis », « paye ton bahut », etc., pour dénoncer des situations sexistes, violentes, abusives, etc.

Je vais partager mon témoignage de personne précaire, en évoquant également mon handicap, puisque c’est un facteur qui joue dans mon travail. Ce n’est pas uniquement pour moi que je le fais, je le fais parce que je lis peu de témoignages de conditions de travail précaires, encore moins de la part de personnes handicapées et/ou malades, encore moins avec un handicap neurologique. Pourtant, nous sommes nombreuses et nombreux, invisibles, considéré.e.s comme interchangeables, vites oublié.e.s... Une de mes lectures, la bande-dessinée « politique qualité », évoquant la situation de femmes luttant pour leur dignité de travailleuses, puis produisant une pièce de théâtre sur leurs luttes et vies respectives, dans le pays de Brest, m’a convaincue de franchir le pas.

Le travail

J’ai arrêté l’université depuis trois ans, deux licences de sciences humaines en poche. Après avoir fait un service civique de dix mois, une formation en langue bretonne de neuf mois et être passée par la case chômage, me voilà travailleuse précaire, dans l’animation pour les enfants.

Être précaire, dans mon cas (et le cas de beaucoup de monde) c’est travailler peu d’heures par semaine, être mal payée, mal considérée, continuer à devoir des comptes aux diverses administrations, avoir des rendez-vous à honorer et des dossiers à composer (notamment la Reconnaissance en Qualité de Travailleuse Handicapée). C’est aller à des entretiens de prestataires de pôle emploi (oui, pôle emploi sous-traite de plus en plus), non pas pour de l’aide, mais un contrôle, la plupart du temps. A la fin, la personne fait un rapport, nous mettant du côté des personnes qui font des efforts ou pas. Le principe est de séparer le bon grain de l’ivraie.
Être précaire, c’est épuisant. Être précaire, c’est sans fin. C’est mal dormir la nuit. C’est stresser. C’est devoir laisser son portable allumé et proche de soi, car on peut avoir un appel, durant la journée, pour aller travailler, parfois une heure avant (et même 20 minutes avant, pour une collègue), souvent le jour même. C’est aussi être gêné.e, aux repas de famille, à répondre « non, je ne suis pas en vacances », « ma situation actuelle est compliquée », etc. Essayer de montrer, de prouver, que oui, on fait assez d’efforts et que non, on ne fait pas rien de nos journées. Se sentir inférieur.e aux autres, culpabiliser et finir par douter de ses compétences, de l’avenir et de sa capacité à s’en sortir. Ce qui est le plus dur, c’est le jugement, surtout des proches.

Le centre aéré

De fin août 2018 jusqu’à la mi-janvier 2019, je travaillais dans un centre aéré d’une maison pour tous, jusqu’à être mise en arrêt de travail par mon médecin traitant.
La responsable jeunesse m’avait parlé d’un contrat d’un an, où je bosserais chaque mercredi (hors vacances scolaires) et des possibilités de travail sur les vacances. Finalement, j’ai signé un contrat pour septembre, puis un autre pour octobre. Deux ou trois contrats pour des remplacements pendant les vacances de la Toussaint. Un autre jusqu’à fin décembre. Cela ne se passait pas comme prévu.
Je ne savais pas, jusqu’au dernier moment, si j’allais travailler pendant les vacances de la Toussaint, ma cheffe a été floue, m’indiquant que cela dépendait des effectifs et des remplacements à faire ou pas, puis, elle finit par me dire qu’on aurait pas besoin de moi... Mais surprise, j’ai travaillé trois jours pendant ces vacances. Les contrats d’un jour ou deux, dont je parlais plus tôt...

C’est un travail épuisant, puisque qu’il nous arrive parfois de faire du 8h-18h30, en amplitude maximale, pendant les vacances, sans pause (il nous arrive fréquemment de ne pas aller aux toilettes durant une journée de travail), dans le bruit. Le bruit n’est pas négligeable, d’autant plus pour une personne autiste, qui a des particularités sensorielles : pour qui le bruit est source d’une grande fatigue et de stress, pour qui il est complexe de trier les sons et qui ne fait pas de hiérarchie entre « trop de bruit » et « trop de bruit ++ » : parce que c’est toujours trop bruyant… Cela m’a joué quelques tours, car, si je me concentrais sur ce que me disait un enfant, je ne voyais plus ce qu’il se passait autour. Ainsi, un enfant puni pouvait partir, je ne m’en rendais pas compte.
Par ailleurs, j’avais la chance d’avoir ma tranche d’âge préférée (3-4 ans), au début, mais on m’a mise aux 5-6 ans, sans me demander mon avis et en me prévenant au dernier moment, pour les mercredis ; ce qui est déstabilisant et dommage parce que j’avais pris mes marques avec les 3-4 ans. De plus, j’ai beaucoup moins d’autorité avec les 5-6 ans qui bougent beaucoup plus et n’écoutent pas beaucoup.

J’ai arrêté le centre aéré, parce que j’ai craqué suite à des critiques de ma cheffe. Mon médecin m’a mise en arrêt et sous médicaments, considérant que je ne pouvais pas continuer dans l’état dans lequel j’étais, à savoir, très angoissée, ayant perdu beaucoup de poids et n’arrivant plus à dormir correctement la nuit. Je souhaitais continuer à travailler, je pensais qu’un anxiolytique me suffirait à tenir le coup, mais mon médecin a opté pour une autre voie qu’il lui semblait plus appropriée.

Ma cheffe me reprochait principalement des problèmes de communication et d’adaptation au changement, (caractéristiques liées à mon handicap, que je n’avais pas évoqué, car je n’avais pas encore la RQTH), mais également d’autres points, qui étaient des quiproquos.

Remplacements dans les temps périscolaires dans diverses écoles brestoises

En parallèle du centre aéré, j’ai travaillé pour les temps périscolaires en tant que remplaçante : surtout sur le midi-deux, mais aussi les TAP (15h10-16h30), ainsi que quelques fois la garderie du soir. C’est comme de l’intérim. C’est stressant, surtout quand on ne connaît pas l’école, sa localisation, les personnels et les tâches que l’on doit faire (qui varient selon les écoles), comme c’est souvent le cas au début. On peut tout à fait nous demander de faire toutes sortes de tâches, alors que nous n’avons pas été embauché.e.s pour cela, mais pour faire de l’animation auprès des enfants : je détaillerai plus loin. Comme on peut nous demander de faire un atelier handball, alors qu’on ne connaît pas grand chose aux règles de ce sport...

Pour ma part, ma première expérience a été un temps de midi-deux, en maternelle, dans une petite école publique située dans le quartier de Saint Marc, à Brest. L’expérience n’était pas mauvaise avec les enfants. Par contre, les deux ATSEM avec qui je travaillais ne s’arrangeaient pas du tout et se sont même disputées en présence d’enfants. L’une des deux pleurait ensuite. Il était question de conflit sur la répartition du travail. Les personnels de la cantine prenaient parti pour celle qui pleurait. Pour ma part, je n’ai pas pris parti, ne connaissant pas les protagonistes. J’étais préoccupée pour les bouts de chou qui avaient assisté à cela et je me sentais mal pour la personne qui pleurait. A tel point que j’étais moins interloquée que je n’aurais dû, quand on m’a demandé de faire une machine, ce qui ne me semblait pas dans mes attributions.

Dans une autre école, en primaire, dans le quartier de Pontanézen, cette fois ci, il m’a été demandé de faire le ménage. J’ai su cela sur place, au dernier moment. Nous avions deux salles de cantine à nettoyer, à deux, et ma collègue n’était pas beaucoup plus à l’aise que moi, puisque c’était seulement la deuxième fois qu’elle travaillait sur ce poste. Nous n’avons pas dû respecter les protocoles d’hygiène, car ce n’est pas notre métier, ni notre formation !

On se garde bien de nous prévenir à l’entretien d’embauche, de l’éventualité qu’on fasse autre chose que de l’animation, quitte à bosser deux heures sur du ménage, sans être au contact des enfants.

Je ne méprise pas ces tâches, ni les personnes dont c’est le métier, qui, de toute façon, doivent être faites, je préfère préciser. Ce qui me pose problème, c’est d’abuser, d’exploiter les personnes précaires pour économiser de l’argent et limiter le nombre d’emplois.
C’est assez malhonnête, par ailleurs.
En plus, pour une personne autiste, les imprévus sont complexes à gérer. C’est très anxiogène.

J’ai surtout travaillé sur deux écoles de Pontanézen, en primaire, pendant quelques semaines, avant les vacances de la Toussaint, puis j’ai continué avec une des deux après les vacances (alors que la cheffe de secteur m’avait dit que je ne continuais pas... car je faisais partie des agent.e.s de remplacement, je n’étais donc pas prioritaire pour avoir un poste, contrairement aux titulaires). Cela fait beaucoup de turn-over et ce n’est pas positif pour les enfants.
La différence entre titulaires et vacataires, c’est que les titulaires postulent plus tôt. Ce n’est pas une question de qualifications.

Nous sommes jetables et interchangeables, un fait illustre tout à fait cela : le 19 octobre 2018, je suis venue comme tous les midi-deux, sur une école de Pontanézen, prendre mon poste et la responsable de site m’a indiqué que c’était terminé. Que je devais rentrer chez moi. Il y avait une classe en moins, donc pas besoin de moi.
En réalité, plusieurs messages ont été laissé sur mon téléphone portable, le matin même, et je l’aurais su, si mon portable fonctionnait – pas de bol, il m’a lâchée à ce moment là –, cela dit, ce n’est pas correct de dire cela par téléphone, à mon sens, car on ne peut pas dire « au revoir » aux enfants.
Comment expliquer aux enfants qu’on ne part pas par volonté, mais par devoir ? Qu’on ne choisit pas de rester ou de partir ?

Pour couronner le tout, la ville prend son temps pour payer. Pour le travail que j’ai fourni au mois de septembre, j’ai été payée fin octobre. Idem pour chaque mois ensuite. De plus, je n’ai pas eu de contrat. Comble du manque de confiance et des tracasseries de tous les jours : chaque jour je devais faire signer une feuille de présence. La fameuse « fiche rose saumon », où j’inscrivais mes heures effectuées et que je devais faire signer tous les jours, sinon je n’étais pas payée.

Pourquoi j’ai continué ce travail pendant deux mois ? Parce qu’il faut bien avoir des sous pour manger et se loger. J’aime travailler avec les enfants, parce que j’ai beaucoup d’idées d’activité et des sujets de conversation en commun avec elles et eux (star wars, minecraft, Harry Potter, pokémon). J’ai une peur bleue, aussi, je l’avoue, de passer pour une fainéante. Qu’on estime que je ne fais pas assez d’efforts. C’est terrible, mais je culpabilise. Même dans la situation des temps périscolaires où je travaillais tous les jours de la semaine, je trouvais que je ne travaillais pas assez (pourtant, j’étais épuisée) et je mesure que je pourrais avoir un travail qui correspond bien plus à mes qualifications.

Fin novembre, j’ai fini par craquer, au bout de deux mois de ce travail. Ma cheffe trouvait beaucoup à me critiquer, sans jamais trouver des avantages à mon travail. Elle me demandait d’en faire toujours plus et toujours mieux, alors que je faisais déjà mon possible. En effet, j’ai pris quelques initiatives, je m’investissais et faisais en sorte de progresser, d’après les remarques que je recevais. Je me suis rendue compte, à cette occasion, que mon travail était invisible. Tant qu’on ne parle pas de ce qu’on fait, ça n’existe pas pour les collègues... (c’est différent pour les enfants). Mes côtés positifs étaient aussi ignorés : ponctualité, écoute, sérieux, volonté de bien faire, sens de l’observation, créativité... J’aurais été mieux vue avec davantage de compétences sociales, et surtout, de dialogues avec mes collègues (un souci que rencontrent beaucoup de personnes autistes). Après une crise de larmes (ce qui est rare en public, chez moi), j’ai démissionné. J’ai considéré que j’avais commis une faute professionnelle, car des enfants étaient présents, quand j’ai craqué. La nuit suivante, j’étais aux urgences, pour une tachycardie de Bouveret. J’ai somatisé.

Cette expérience en dit long sur les conditions de travail précaires, mais aussi sur la façon dont on traite les personnes en situation de handicap, car, bien que n’ayant pas évoqué ce point, tous les reproches qui m’ont été fait concernaient des caractéristiques de mon handicap, l’autisme, que je ne peux pas (ou difficilement) changer.
Cette condition neurologique induit des difficultés pour s’adapter aux changements, en particulier les imprévus : changements de lieux, d’organisation... Il en va de même pour ce qu’on appelle « le dynamisme » : difficile de l’être quand on met toutes ses forces dans la compensation du handicap... Faire semblant d’être « normal.e » est épuisant pour les personnes autistes. Tenter de communiquer comme les autres, autant que les autres, notamment. C’est très stressant et émotionnellement difficile à tenir, de façon générale, car on nie notre identité. On se sent inférieur.e.s, aussi, puisqu’on doit faire beaucoup d’efforts pour arriver au même niveau que les autres et que ces efforts ne sont pas reconnus à leur juste valeur. L’adaptation constante que nous devons mettre en œuvre, lors des situations sociales, mais aussi par rapport au bruit, a un prix. Le prix de la normalité, de l’invisibilité du handicap, c’est la grande fatigue, le manque de confiance en soi et l’anxiété importante.
Une collègue m’a même dit que je serais peut être mieux avec un ordinateur que des humains. Ce qui est cliché et qui ne manque pas de sel, quand on me connaît, étant donné que je suis une personne engagée et que mes centres d’intérêts concernent l’Humain (politique, sociologie, histoire, anthropologie...).

Dans mes deux milieux professionnels, j’ai côtoyé des enfants de tous les milieux sociaux et de toutes les origines. Entre les enfants de médecins, avocat.e.s et d’officiers de marine, du triangle d’or de Brest, et les enfants d’ouvrier.e.s ou de privé.e.s d’emploi d’un quartier populaire brestois connu (Pontanézen), à forte présence d’immigré.e.s.

J’ai remarqué que les enfants « atypiques » (en situation de handicap, notamment autistes) venaient plus facilement vers moi que vers les autres animatrices et animateurs. J’ignore si c’est parce qu’elles et ils ont compris que je suis aussi atypique, ou si c’est tout simplement parce que je les traitais comme les autres enfants.

Mis à part le fait que je manque d’autorité, je n’ai pas eu de problèmes avec les enfants. Je me suis attachée à elles et eux et j’étais contente de leur proposer des ateliers philo entre midi et deux, mon dernier mois de travail. J’étais aussi enthousiaste par mon projet de concours de dessin, pour leur donner la parole, sur les rythmes scolaires. Hélas, mes soucis professionnels et de santé ont mis un terme à ce projet.

Ce qui était le plus incroyable, dans cette expérience, c’est d’avoir été l’oreille des enfants qui se confiaient à moi sur leurs problèmes familiaux et personnels, parfois lourds (violences conjugales, problèmes sérieux de santé, séparation des parents), tout en étant vue par ma cheffe comme improductive. Même dans l’animation, le lien social semble s’effacer au profit d’un rôle de prestataire de services... Et c’est aux autistes que l’on reproche d’être « dans leurs bulles »...

La vie en foyer de jeunes travailleurs

J’ai vécu presque deux ans en foyer de jeunes travailleurs. Aujourd’hui, je suis revenue chez mes parents, faute de revenus suffisants pour un logement social, bien que je cumulais deux petits boulots (c’est incroyable, n’est ce pas ? manquer d’argent... pour un logement dit « social »).

J’ai vécu deux mois et demi dans un premier foyer, situé au centre ville de Brest, avec une population jeune, voire très jeune (des personnes mineures, notamment), je faisais office d’aînée, avec mes 24 printemps.
Quand j’ai emménagé dans mon nouveau logement, j’étais stressée, je me sentais bizarre, parce que c’était quelque-chose de tout nouveau pour moi. Des amis m’ont aidée à déménager, nous avons bu un chocolat chaud ensemble et un d’eux, voyant mon trouble, me proposa de rester ou que je dorme chez lui, si j’avais trop peur. J’ai décidé d’aller dans mon nouveau chez moi. J’en menais pas large, d’autant plus que mes parents étaient opposé.e.s à mon départ.
Partir de chez mes parents n’a pas été simple. Il a fallu que je me batte. Je manquais cruellement de confiance en moi, mais des ami.e.s, la mission locale, puis le FJT m’ont permis de franchir ce cap. Finalement, j’ai réussi et ce n’était pas si compliqué.
Je me suis rapidement accoutumée. J’ai pris du plaisir à vivre seule et avoir mon propre logement, moi qui suis issue d’une fratrie de quatre enfants.

Lorsque que j’étais dans ce premier foyer de jeunes travailleurs, j’ai entendu plusieurs fois des propos racistes ou homophobes. Ce qui m’a le plus choquée, c’est quand un des deux gardiens de nuit du foyer m’a demandé de lui en faire part si des « migrants » utilisaient les ordinateurs. Le règlement stipulait que les personnes qui ne vivaient pas dans le foyer n’avaient pas le droit de venir utiliser les ordinateurs le soir, il aurait donc dû dire cela et non pas parler des « migrants » en particulier. Une autre fois, j’entendais d’autres personnes qui vivaient au foyer dire « bientôt, il y aura plus que des migrants à vivre ici ». Il est vrai que la proportion de personnes noires est importante, mais ce ne sont pas forcément des personnes immigrées et ce que nous dit cette présence, c’est que les personnes noires sont discriminées et ont donc des situations sociales plus compliquées que les personnes blanches.

Par rapport à mon handicap, vous l’aurez probablement compris, il ne limite pas mon autonomie. Par contre, il induit beaucoup de stress et de fatigue, car je me sur-adapte et je prends beaucoup sur moi. Mon handicap est surtout situé au niveau de la communication et de la sociabilité. Je possède également des hypersensibilités sensorielles, notamment concernant les sons forts, aigus ou graves en continu, surtout si je n’identifie pas la cause. Ça fait que je semble « normale » aux regards non-initié.e.s, quoique « très timide » et parfois « bizarre » : c’est parce que j’ai appris à me cacher, à cacher qui je suis, pour ne pas avoir de problème. Mais clairement, il y a des situations où une personne va faire de l’ironie et je passe complètement à côté, des situations sociales où je ne sais pas comment réagir (je me prends la tête avec qui je peux vouvoyer ou tutoyer, quand je dois serrer la main, faire la bise, faire un signe de tête...). C’est beaucoup d’interrogations au quotidien pour s’adapter aux normes sociales dominantes. Une petite anecdote : dans le hall du FJT, j’ai croisé une jeune femme, et je ne l’avais pas prévu, donc je lui ai dit « bonsoir », alors qu’il était... 14h. Oui, parce qu’être autiste, c’est devoir intellectualiser chaque échange verbal... Si on ne les prépare pas, on se plante.

Dans mon premier foyer, je n’avais pas de cuisine, dans mon deuxième foyer, j’ai eu un coin cuisine, ce qui est bien plus pratique. Je n’ai pas été embêtée par le bruit, sauf les quelques derniers mois, parce que les voisins ont changé. Il faut dire que c’est mal isolé (pourtant, le bâtiment a été rénové il y a quelques années à peine). Ainsi, j’entendais les personnes quand elles se lavaient, quand elles faisaient l’amour, quand elles invitaient du monde, quand elles bougeaient leurs chaises et parfois même quand elles marchaient (avec certaines chaussures). L’autre souci principal était le froid, quand les mois noirs arrivent (en référence aux noms des mois en breton), on a vraiment froid dans les logements, sans possibilité de mettre du chauffage, avant le mois de novembre (au sortir des vacances de la Toussaint). Et enfin, même si je n’en ai pas vu moi-même, il y a des cafards, dans une partie des logements de l’immeuble : des personnels municipaux sont venus dans tous les logements pour mettre du produit au niveau de la VMC.

Pour conclure

J’espère que ce fragment de vie aura permis à certaines personnes de prendre conscience de certaines réalités. Réalités de la précarité, mais aussi, un peu de l’autisme. Au sujet de l’autisme asperger au féminin, je vous conseille de regarder les vidéos de Julie Dachez et de lire sa bande-dessinée La différence invisible, pour mieux connaître et comprendre ce que cela implique, car, l’autisme reste trop peu connu en France (en particulier l’autisme asperger au féminin). On en parle beaucoup, mais souvent mal, avec des termes inappropriés et des contre-vérités. Beaucoup trop de clichés circulent sur le sujet.

Je précise que, par rapport à d’autres, je n’estime pas avoir été privée. Grâce aux APL (généreuses en FJT), au fait que j’étais seule, sans voiture, avec un mode de vie économe (pas ou peu de budget loisir, achat des produits ménagers, d’hygiène et d’alimentation les moins chers, au début). Je pouvais mettre de l’argent de côté presque tous les mois, et même manger bio, mes derniers mois de FJT (un choix que j’ai fait en rapport avec ma santé).
Quand je vois les SDF, quand j’entends mes grands-mères parler de la guerre, ça me fait relativiser. Ça n’enlève rien au fait qu’il est important de s’exprimer et de s’indigner, car ce n’est pas juste de vivre des situations de précarité et de chômage (d’ailleurs, à la JOC, on parle de « privé.e.s d’emploi », et pas de chômeuses/rs), de tensions, de honte, comme cela.

Si on a du mal à s’en sortir, avec un bagage scolaire conséquent, comment font les personnes qui ont arrêté plus tôt ? (je le sais en partie, car j’ai un frère et des cousins dans ces situations, et ce n’est pas jojo).

Le président Macron (il n’est pas le seul, hélas), considère que nous n’avons pas le goût de l’effort et qu’il suffit de traverser la rue pour trouver un travail. Il est coupé des réalités. Il ne suffit pas d’avoir de la volonté. Il faut aussi réussir à adhérer à un certain nombre de codes, il faut accepter le piston (très compliqué pour une personne autiste qui a un sens aigu de la droiture), avoir une voiture, de l’expérience, être à l’aise à l’oral... J’en passe.

J’ai appris de ces expériences. Aujourd’hui, je compte travailler dans un domaine qui me convient (et arrêter d’essayer des jobs qui ne me correspondent pas), à savoir, travailler dans une médiathèque. C’est même une conseillère à l’emploi, mon médecin traitant et des psys, qui m’ont dit que je devais arrêter de faire n’importe quel travail, car c’est néfaste pour ma santé (comme quoi il y a des conseillères humaines). Désormais, j’évoquerai mon handicap sur mon lieu de travail, afin de ne pas vivre les mêmes remarques que j’ai pu vivre lors de mes deux derniers jobs. Si je ne le faisais pas, c’était parce que ce n’était pas officiel, j’étais en attente de la RQTH et de l’avancement de mon diagnostic, car ce sont des procédures très longues, mais les difficultés sont déjà là... J’ai plusieurs projets, notamment d’écriture, ce pourquoi je vous remercie de me donner l’opportunité de m’entraîner ici.

Millendall