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Autofiction. La transgression des barrières sociales


par Lucie
le 29 octobre 2022

Autofiction : La transgression des barrières sociales imposées par une société discriminante. Par Lucie

Ma naissance dans une famille de la classe moyenne, en tant que petite fille porteuse d’un handicap qui m’empêche de marcher fait partie de moi, mais ne me définit pas entièrement. J’ai tendance à le voir comme une force qui m’a permis d’accroître mon envie d’aller encore plus loin que ce qu’on attendait de moi, de transgresser les barrières que mon corps douloureux m’a parfois mis en tête. Depuis toute petite, on avait dit que je ne serais pas capable de lire et même de poursuivre une scolarité normale. J’étais jeune quand j’ai vécu cette discussion, je ne me rappelle pas de tout, on m’a raconté son déroulé. Ce qui est sûr, c’est que cette discussion reste quand même un événement marquant de ma scolarité et a conditionné ma hargne d’avancer pour prouver que j’étais capable. Cette enseignante sous entendait que du fait des atteintes motrices de mon cerveau, je ne pourrais être capable d’avancer au même rythme que les autres et que j’étais conditionnée à être connue comme « handicapée » et pas comme individu ayant des capacités à développer. Cette étiquette serait alors collée sur mon front avec du scotch double face et il me serait impossible d’outrepasser ce statut. Je vous mentirais si je ne vous disais pas que cela ne m’a pas choquée quand on me l’a raconté. Eh oui, car j’imagine que comme moi, quand vous aviez sept ans, vous vouliez exercer tous les métiers du monde, être astronaute ou je ne sais quel autre métier. Rien ne me semblait impossible, même si j’avais conscience, déjà, à cette époque des contraintes que celui-ci incombait à ma vie.

Rétrospectivement, avec le recul qui est le mien aujourd’hui, on peut dire que cette discussion m’a semblé être une claque car on me rangeait dans une case, et je n’aime pas ça pour être honnête. Cela a fait naître en moi un sentiment de révolte intérieure que j’ai rapidement transformé en énergie positive pour essayer de m’épanouir selon mes critères et pas ceux que la société tente de m’imposer. La pluralité d’individualités me convient mieux. Au contraire, j’aime être là où l’on ne m’attend pas, pour dire à tous ces gens qui ne croient pas en moi. Je m’obstine à m’appuyer plus globalement sur le pouvoir que génèrent la différence et la positivité. En résumé, si l’on croit fort en soi et en ses capacités, tout est possible. Quand j’écris cette phrase, je me dis que ce pourrait être un slogan et qu’elle pourrait peut-être paraître trop naïve aux yeux de mes futurs lecteurs, mais finalement c’est ce mantra qui a guidé, qui guide et qui guidera toujours mon ressenti que j’exprime par l’écriture. En effet, aux ignorants qui voulaient m’exclure,je n’ai pas voulu leur donner raison et j’ai donné tout ce que j’avais pour pouvoir développer mon intellect autant que possible même si cela me demande deux fois plus d’énergie que pour quelqu’un qui selon les normes de la société n’est pas considéré comme différent. Et j’ai réussi, même plus vite que certains. En fait, je crois que ce qui me définit en tant qu’individu social, ce n’est pas mon handicap, mais ma volonté farouche de vivre intensément la vie en ne me mettant pas de barrières psychologiques tout en étant au fait des contraintes qui incombent à mon état.

Mon identité sociale, c’est la capacité d’adaptation. J’ai tendance à croire que la société ne s’adapte pas à nous, gens considérés hors de la norme, encore plus quand on souhaite dépasser ce que la société attend de nous. Le concept de transfuge de classe dont parle Annie Ernaux me parle beaucoup, mais pas dans le sens de classe sociale mais de classe sociologique. En effet, si on écoute la société aujourd’hui, je ne devrais pas avoir accès à un apprentissage normal et être considérée uniquement comme une handicapée. Je ne nie pas mon état physique qui fait partie de moi, mais je ne suis pas que cela. Mon identité sociale est plurielle. Je suis une femme cisgenre, française, bretonne, hétérosexuelle, étudiante, féministe, mélomane, issue de la classe moyenne. La faille fondatrice de mon individualité est la volonté d’intégration dans la société. Ce que la société veut faire des handicapés, et le regard qu’elle porte sur ceux qui sont différents est assez traumatisant. La société pratique le rejet de tous les gens qui ne rentrent pas dans le moule. Quand on réfléchit à la question de gens en situation de handicap, les gens le voient comme une diminution du potentiel (qu’il soit physique ou intellectuel d’ailleurs) ils ne sont pas capables de… Je ne me reconnais pas dans l’image que l’on a des handicapés. Je veux prouver que malgré mes contraintes physiques, je peux le faire.

Durant l’écriture de ce texte, j’ai découvert en profondeur le mot validisme, qui renvoie donc, selon le dictionnaire Le Robert au fait « de faire preuve de discrimination envers les personnes souffrant de handicap » quel qu’il soit, physique, psychique ou invisible. Je ne peux que vous confirmer que ces gens-là existent, et qu’ils sont bien plus nombreux qu’on ne le pense. En effet, comme dans toute société d’ailleurs, je crois que l’Humain a peur de ce qui n’est pas semblable à lui. La société est contaminée par une peur de l’autre, qu’elle soit consciente ou non. En utilisant le terme « inclusion », la société exclut les différents. Car je suis différente de quelqu’un qui est bien portant, mais j’ai des qualités, des idéaux, des idées qui me semblent être utiles à la société. En fait, on devrait arrêter de considérer les gens par rapport aux autres, mais par rapport à ce qu’ils sont en tant qu’individus, s’intéresser en profondeur à leur identité et ce qu’ils peuvent apporter à la société. En soi, je considère que la différence est une valeur ajoutée par rapport à la société qui est beaucoup trop uniforme à mon goût. C’est pour cela que je refuse de vivre à la marge de la société comme certains le voudraient. Je souhaiterais y être pleinement moi, jeune femme à l’identité plurielle et ne pas toujours être ramenée à ce statut et ses contraintes, qui, je vous l’avoue sont parfois lourdes à porter, et l’administration française ne nous enlève pas ce poids sur les épaules. Ce poids sur les épaules est dû à un manque de considération des demandes que l’on fait, la lourdeur du système administratif pour avoir accès à ce que l’on demande. Je vous donne un exemple concret : pour avoir accès à du matériel qui me permette de me déplacer en autonomie tel qu’un fauteuil roulant, il faut remplir un dossier à chaque fois que je dois changer de matériel, ce qui arrive fréquemment.. Ce dossier, reprend les caractéristiques du handicap, ce handicap qui n’évolue pas. Je resterai en fauteuil toute ma vie et ça, l’administration ne l’a pas compris et m’envoie le même dossier à remplir tous les ans. Vous trouvez ça normal ? C’est absurde, et pourtant, c’est la logique de l’administration.

Je suis également dépendante de la technologie. Et quand cette technologie est défaillante, je ne peux rien faire. Alors que j’étais censée venir au cours aujourd’hui, à l’heure où j’écris, mon ascenseur personnel qui me permet de sortir de chez moi est en panne, et personne ne peut venir le réparer si je ne souscris pas à un contrat qui va encore me coûter cher. Oui, je vous le dis, pour être handicapé, il faut être riche. Ce constat est clair, je suis totalement tributaire et dépendante de la lourdeur du système. La quête d’une place dans une société qui n’est pas adaptée à vous et que les décideurs ne vous y incluent tout simplement pas n’est pas chose aisée. C’est une bataille de tous les instants, mais elle n’est pas vaine. Cela me fait penser à une anecdote. Un jour, alors que j’allais me divertir à un spectacle de danse de ma sœur et que la voiture familiale était logiquement garée sur une place handicapée, une femme est venue nous interpeller. Elle nous a dit : « Mais attendez, vous n’avez pas le droit de vous garer là ». Mon père m’a alors sortie de la voiture et m’a installée dans le fauteuil roulant .Cette femme se sentit alors gênée voire penaude.

Les regards insistants, je ne les connais que trop bien. Souvent, ils émanent d’enfants. Un jour, alors que je me baladais en ville avec ma sœur et ma mère et que j’étais entrée dans un magasin pour essayer un pull que je trouvais beau, une petite fille présente dans la boutique m’a regardée intensément, sans poser de questions. Cependant, j’ai perçu chez elle un regard interrogateur. A cette époque, on n’avait pas encore de masques et l’épidémie de coronavirus n’était pas présente, quelle belle époque soit-dit en passant, alors je lui ai souri et fait apparaître mes belles dents pour faire oublier le véhicule un peu spécial dans lequel je me déplace. Souvent, cela marche bien et ils détournent vite leur attention. D’autres fois, ce sont les parents qui, gênés par l’attitude de leurs enfants leur fait un petit sermon : « On ne regarde pas la dame, allez, on y va ». Et les enfants détournent finalement leur attention. Je dois vous avouer quelque chose : plus jeune, j’étais gênée par ce regard des autres, maintenant (peut-être que c’est parce que j’ai vieilli et que j’ai pris de l’âge aussi, de la maturité sans aucun doute !), je ne m’en fais plus et passe vite à autre chose. Le regard des autres change aussi parce qu’il y a de plus en plus de représentations de diversité et ça, je m’en réjouis. J’aimerais cependant que quand il y a des regards interrogateurs comme celui de la petite fille évoquée ci-dessus ou même un adulte, qu’ils viennent me voir. Je ne suis pas comme le grand méchant loup du Petit chaperon rouge, je ne mords pas et dévore pas les petits enfants ou les adultes tout crus. Les échanges qui s’instaureraient seraient, je n’en doute pas une seule seconde, toujours très pertinents.

Je pense que multiplier les représentations positives du handicap permet in extenso de normaliser notre présence dans la société. Que je veuille être prise en considération en tant que citoyenne, étudiante et ayant des passions comme la musique ou m’intéressant à divers sujets, et pas seulement sous le prisme de ma situation physique est une prise de conscience primordiale de la société qui a tendance à nous infantiliser, quand elle ne nous exclut pas. Alors oui, je ne fais pas les choses au même rythme que les autres, mais je les fais quand même. Me réduire à ma particularité physique, alors que je suis bien plus que cela est quelque chose qui me ne me plaît pas tant que ça. Théo Curin, nageur handisport a dit que la communauté de personnes en situation de handicap n’existe que sous le prisme des personnes marchantes et qu’il n’y a en soi aucune communauté (© Théo Curin, Story Instagram du 16.03.2022. Je suis assez d’accord avec lui car finalement, le handicap n’existe que dans le regard de l’autre. C’est pour cela que je ne me reconnais pas dans ce que j’appelle au début de ce texte une classe sociologique, de personnes en situation de handicap car même si je suis consciente de mon handicap et de ses intenses difficultés, je revendique le fait et (surtout) le droit de pouvoir être comme tout le monde, de pouvoir faire toutes les choses du quotidien, avoir des passions tout en les adaptant à mes contraintes. Je ne veux surtout pas être réduite à cela.

Je suis une jeune femme qui réalise ses rêves, d’abord, et puis à roulettes ensuite. Le combat de ma vie n’est pas un combat gagné d’avance, mais je suis fière de le mener. Mark Twain disait : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait ». Dans ce combat contre une société inadaptée aux différences plurielles de chacun, les mots sont ma plus grande force. Les mots sont libérateurs, guérisseurs et apportent tellement. Les mots sont catalyseurs d’émotions et sont mes meilleurs alliés pour ancrer les souvenirs dans ma tête. J’ai déjà tant vécu et les mots ont soigné mes maux. J’écris tout, tout le temps. Ils sont la clé de ma résilience. Ma vie consiste à ne rien lâcher pour atteindre mes objectifs. Toujours prouver que je suis capable, j’aime déjouer les pronostics. La vie est faite d’embûches, certes. Ces embûches font partie de moi, pour toujours. Mais surtout la vie est belle, même quand les ténèbres s’invitent à la fête. Ne jamais oublier que le soleil finit toujours par scintiller après les orages. Il ne faut jamais abandonner car on sait que les ténèbres peuvent se transformer en paradis en quelques secondes. L’obscurité qui laisse place à une lumière éclatante, si pétillante, en quelques instants. Je n’ai jamais rien lâché, je ne lâcherai jamais rien. Mon optimisme et ma persévérance à toute épreuve font que malgré le dénigrement des validistes, je ne perdrai jamais espoir.

Espoir de vivre dans une société qui est accueillante pour ceux qu’on exclut. Si on croit fort dans une chose, même si les gens vous croient incapables, tout est alors possible. Les efforts paient toujours, même si le prix que vous payez pour y arriver est lourd. La sensation est en tout cas très jouissive d’arriver à aller au bout de vous-même pour atteindre vos objectifs. Et cela vous donne envie d’aller toujours plus loin, plus haut et plus vite, avec toujours le même objectif. Mettre à terre les ignorants qui sont enfermés dans un carcan. Attention, je ne vous dis pas que tout est beau, tout est rose. Pour arriver à atteindre mes objectifs, Je me bats tous les jours. Il m’arrive régulièrement de pleurer, de flancher, de tomber en bas de la montagne que je gravis pourtant avec le plus de détermination possible car je ne me supporte plus, ce corps qui est trop douloureux. Ces douleurs, ces choses que je ne peux pas faire, ce poids trop lourd pour moi seule, les limites qui sont là et que je ne peux contrer. Dans ces moments là, je lâche, et j’écris ensuite pour graver le produit de mes larmes dans l’ordinateur afin de ne pas oublier, rien oublier de mon difficile et intense, mais non moins extraordinaire et joyeux combat que la vie me donne. Ces larmes sont indispensables pour remonter sur le ring et mettre un coup de poing bien placé aux épreuves que la vie nous impose. Et je me relève, toujours. Cette dernière phrase peut vous paraître drôle quand on sait que je me déplace sur roulettes. En soi, je ne me relève pas, mes roues reprennent du service. L’humour est très important, en toutes situations. Je me relève aussi grâce à l’infini soutien de mes proches, qu’il est important de souligner ici, Ils me portent quand ça va mal et, m’influent du courage quand j’en ai plus. Leila Bekhti et Grand Corps Malade chantaient : « Ils sont mes repères, mes bases, mes compliments, mes reproches » (Grand Corps Malade, Leïla Bekhti, « Le sens de la famille », tirée de l’album « Mesdames », 2020 ). Je suis forte, mais, parfois, j’ai des doutes et c’est humain. J’accepte ces moments de vulnérabilité qui font partie de la vie. Ce sont mes proches qui me redonnent confiance en moi, croient en mon potentiel, et me poussent à réaliser mes rêves, à toujours me dépasser car ils me croient capables. En ce sens, je comprends très bien la chanson citée plus haut : être en situation de handicap te rend forcément dépendant des autres, mais les liens qui existent avec ceux qui t’entourent au quotidien sont si précieux et uniques. La force du collectif est primordiale quand on est en situation du handicap, ce qui rend la vie plus belle. Et je peux vous assurer, vous qui me lisez, que je mesure ma chance d’être entourée comme je le suis, par ma famille et mes amis. C’est précieux et indispensable d’être accompagnée dans le difficile combat que je mène chaque jour. Ces personnes me font réaliser chaque jour que la vie est un cadeau, qu’il faut l’aimer de toutes ses forces, affectionner tous les instants qu’elle nous offre. Il ne faut pas attendre de vivre intensément si on ne veut pas avoir de regrets.

C’est mon mantra de tous les jours : « N’attendons pas de vivre » comme le chante Vianney dans sa chanson « N’attendons pas »(Vianney, « N’attendons pas », tiré de l’album « N’attendons pas », 2020 ). Chaque jour est un nouveau départ et je m’applique à voir le bleu du ciel, même dans les pires orages.Les arcs en ciel sont bien plus importants que les tempêtes. C’est cela que le handicap m’a appris. Les tempêtes nous forgent et nous rendent résilients. Mais plus encore, les arcs en ciel nous permettent de sortir la tête de l’eau et d’apprécier chaque seconde du jour et de la nuit car ce temps est précieux. La différence est parfois un fardeau, mais avant tout une force, quelque chose qui m’influe du courage et un cadeau qui me rend puissante. Je suis Lucie, une jeune femme puissante, positive, dynamique, à roulettes et fière de l’être.