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La police matraque dans l’Université de Bretagne Occidentale


par Par Karine Boennec
le 12 décembre 2019

Bibliothèque Universitaire Lettres - Université de Bretagne Occidentale - Le mardi 10 décembre 2019

Je travaille à l’accueil de la BU, assise derrière la banque de prêt. La BU a ouvert à 8h. Je suis seule personnel à l’accueil, comme habituellement pendant la première heure d’ouverture de la BU, les autres collègues se trouvant dans les espaces internes. La BU Santé n’ayant pas ouvert à 8h pour cause de grève, de nombreux étudiants en Médecine sont arrivés vers 8h20. La BU Lettres est quasi-pleine (550 places), en cette période de partiels. Je regarde l’heure de mon PC : 8h44. Très peu de temps après, j’entends des cris venant de l’entrée de la BU. De mon poste, je ne vois pas l’entrée. Les cris sont particulièrement forts. Je me lève et vais directement dans le hall (par la porte vitrée derrière la banque d’accueil). Je vois un groupe de jeunes plutôt de dos, qui reculent, en défensive (des corps repliés, quelques bras en protection). Face à eux, les poursuivant, des hommes en tenue, casqués, avec matraques. Autour d’une dizaine. Il y a des contacts entre les deux groupes, les policiers accrochent les bras, les vêtements des jeunes, je vois des bras levés avec des matraques. Je suis stupéfaite, j’essaie de comprendre la situation : poursuite de malfaiteurs ? action liée à la manifestation prévue ? Je m’avance au début du hall. Des jeunes crient : « Vous n’avez pas le droit d’être là ». Après une très courte pause dans la partie du hall près de la porte, les jeunes se rendent compte que les policiers continuent à chercher à les attraper et/ou les frapper. L’ensemble des deux groupes avance dans le hall. Je m’aperçois alors qu’un des jeunes a été attrapé et tiré vers le sol. Il est entouré de plusieurs policiers, je vois les matraques s’abattre plusieurs fois sur lui. D’autres policiers repoussent, également avec leurs matraques, les autres jeunes, et isolent celui qui est au sol. Les jeunes reculent encore et s’approchent de l’accueil, suivis par ceux qui les repoussent. Je marche dans la zone créée entre les deux groupes, et me rapproche du jeune toujours maintenu au sol par des policiers. Il n’y a plus de coups. Je veux voir quel est son état : il n’a pas de blessure apparente au visage, il est conscient, très pâle et silencieux. Il reste immobile. Je veux éviter qu’il reçoive à nouveau des coups. Je m’approche pour lui parler. Je me demande comment vont réagir les policiers : me l’interdire verbalement, me repousser ? Je pense aux matraques. Je demande au jeune comment il va. Il est un peu sonné. Je lui prends la main, tire un peu sur son bras et l’aide à se lever. Il se lève, les policiers le dirigent vers le grand mur du hall, près des escaliers arrière, face à l’entrée des salles de lecture, et l’y maintiennent. Je reste près de lui, à portée de main. Je me retourne vers l’autre groupe. Les jeunes ont passé les portiques antivol, ils sont dans le sas de l’accueil, et regardent vers nous. A leur droite et derrière eux, les salles de lecture, à leur gauche le guichet d’accueil de la BU. Un rang de policiers leur fait face, ils restent côté hall des portiques antivol. Les groupes s’immobilisent. J’entends la voix de la directrice de la bibliothèque, Véronique Douillard, je ne la vois pas, elle est contre la banque d’accueil, à l’extérieur du portique. J’entends des extraits : « pas le droit d’être là », « autorisation du président ». Des échanges ont lieu entre des policiers. Les policiers au portique font demi-tour et partent rapidement, l’un d’entre eux vient dire à ceux qui maintiennent toujours le jeune contre le mur : « c’est bon, on laisse, on y va ». Ils partent. Je vois que des usagers de la BU se sont levés et regardent vers l’entrée. D’autres collègues sont arrivés à l’accueil. Un temps d’échanges avec les jeunes et la directrice. Ils nous indiquent qu’ils faisaient des barrages filtrants près du Leclerc du centre-ville. Que, comme habituellement, les policiers les ont chassés du lieu. Mais, de façon plus inhabituelle selon eux, ils les ont poursuivis longtemps : ils sont montés jusqu’à Saint-Martin, puis redescendus et, se voyant toujours poursuivis, ils sont entrés dans la BU. Une des filles dit en substance : « c’est bizarre, à Brest ils ne sont pas comme ça d’habitude les flics, on a déjà fait des manifs, ils nous chassent d’un endroit mais ne nous poursuivent pas aussi longtemps ». Une hypothèse est émise que c’est peut-être du « renfort » de l’extérieur, des policiers venant d’autres villes. Les jeunes partent, ils connaissent les autres sorties de la BU pour accéder directement à l’UFR. Il est à peine 9h.

Complément : Les policiers ont une mention Police sur leur dos. Quelques-uns (3 ?) sont en tenue banalisée. Un étudiant indique qu’ils ont enfilé leurs brassards au moment d’entrer dans la BU. Les jeunes sont en tenue de ville habituelle, pas de cagoule, pas d’objets en main pouvant servir d’armes type barre de fer. L’un d’entre eux tient une liasse de tracts dans la main.

Karine Boënnec