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L’enterrement de mon mari

par Khédéja
le 29 septembre 2018

En France pour mon mari on a fait comme en Algérie. Il est mort le jeudi. Il a été enterré samedi après midi.
Il y avait les enfants, la famille, les amis, les ouvriers de la mairie de toutes les origines.
Il voulait être enterré là où il allait mourir.
Il ne voulait pas aller contre le destin. La terre, ici comme ailleurs, c’est exactement pareil.
J’avais appelé la Mosquée de Paris pour avoir des imams. Elle me demandait 2000 Francs pour un imam, et on me parlait d’en prendre six !
En plus, les imams voulaient emporter mon mari à la mosquée la journée pour le ramener le soir. Mon fils m’a dit : « pas question, mon père n’a fait que du bien dans sa vie, pourquoi donner de l’argent aux profiteurs. »
Alors on a appelé un Cheikh que quelqu’un connaissait.
Il a pas voulu venir, il a dit : « on ne vient pas parce que on ne fait pas la prière aux Français ».
On a appelé l’ami de mon mari qui a très bien étudié le Qôran.
Il a fait la prière deux jours, tout le Qôran.
C’était un ami. Depuis la mort de mon mari il fait une prière quotidienne pour lui, ça fait bientôt 13 ans.
Je m’inquiétais pour rien, le jour du cimetière six personnes qui savaient lire le Qôran étaient venues directement d’Algérie, des amis lointains de mon mari.
Avec ces six amis, avec le Cheikh et mes gendres, ils ont fait la prière dans la maison, puis au cimetière et après.
Un cortège de voitures a suivi le corbillard.
Le corbillard s’est arrêté à la porte du cimetière. Là, onze personnes ont fait la prière et porté le cercueil jusqu’au bout.
Mon mari a fait la Deuxième Guerre, tirailleur nord-africain. Les anciens combattants voulaient lui remettre la Croix de Guerre pendant l’enterrement. Mais nous avons refusé car les Algériens allaient mal nous juger.
Ils sont venus quand même mais ils ont laissé leur drapeau, leurs décorations dans leur voiture.
Les responsables du cimetière nous ont dit de faire comme chez nous : ce sont la famille, les amis qui se sont occupés de tout, porter le cercueil, mettre dans la terre.
La tombe est placée en direction de la Mecque.
Après les dernières prières chacun à son tour a jeté sa poignée de terre puis chaque algérien a versé une pelle de terre. En dix minutes le trou était bouché puis ils ont nettoyé un peu autour et puis on est rentré.
Mon beau-frère m’a dit : « Vous n’avez pas d’argent pour le rapatrier en Algérie ? Vous l’avez enterré avec des Français ! ».
Alors j’ai répondu qu’on était des voisins de pallier avec les Français, pourquoi on ne serait plus des voisins dans la terre !

[/Khédéja, une femme kabyle née en 1928, immigrée en France en 1948
Récit recueilli par Sophia Lamri en juin 1997/]





L’enterrement de mon mari (pdf, 42.3 ko).